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 Une voix contre la violence

Qui sont ces femmes en prison!!!

J'écris ces quelques lignes en étant consciente

de la portée de mon geste et

aussi de la grandeur du problème.

Je vous écris car mon cœur est resté pur,

malgré la violence que j'ai subie ou infligée aux autres.

Je vous écris car je n'ai rien d'autre à faire que

de prendre soin de moi-même.

Je vous écris car  j'ai trop à dire et

rien pour l'instant à donner,

l'écriture étant mon seul exutoire,

mon évasion journalière de ces murs de souffrances.

Je suis arrivée en prison par le chemin le plus fréquenté,

mais le moins(parlé).

Celui des conséquences de l'inceste,

de cette violence qui tue par en dedans,

de cette violence qui se traduit en auto-destruction,

en toxicomanie, jusqu'au jour ou plus rien ne peut plus retenir la souffrance.

             

Nous sommes tous  condamnés à souffrir.

              n'est-ce pas le temps de se poser des questions                     

Plus le temps passe, ici où on a l'impression d'être seule au monde,

plus le temps passe ne fait qu'un seul et même grand cri de femmes,

un grand trou noir, une seule et même souffrance.

Inceste, Viol, et Violence De Toutes Sortes.

Trois mots, une seule et même destruction.

La pureté de l'enfance, les rêves de l'adolescence détruits

par le bec acéré de l'agresseur comme par celui d'un vautour ,

une jeune proie.

Vous vous demandez qui sont ces femmes en prison.

Ne connaissez-vous pas les statistiques???

Celles qui disent que plus de 85% des femmes en prison

ont subi le viol, l'inceste et de abus de toutes sortes?

Mon expérience m'a appris une chose :

toute blessure ou souffrance ignorée

se transpose en violence,

en auto-destruction, en toxicomanie.

Ensuite l'inévitable se produit,

un crime pour renaître d'un crime.

Certaines arrivent à tout ignorer, à faire semblant,

mais par la force des choses un jour,

elles deviennent à leur tour des abuseurs

et se retouvent en prison elles aussi.

Comme la justice n'est pas pour toutes,

elles en crèvent, ou veulent se faire justice elles-mêmes,

mais elles sont ici sous mes yeux, en prison.

La prison m'a rendue révolutionnaire dans ma lucidité.
L'absurdité du système carcéral saute aux yeux.

Le pénitencier de Joliette n'est pas une prison,

c'est un asile pour femmes après une crise de nerfs,

pour femmes violentées à l'extrême.

Voilà de quoi faire réfléchir...

N'est-ce pas que le système patriarcal ne fonctionne plus,

une autre preuve que les mâles dominants

sont tombés de cheval?

Vous me direz : Il y a aussi des hommes en prison!

Bien sûr, car eux aussi ont été jeunes et peut-être abusés...

Les dominés qui deviennent dominants.

N'êtes-vous pas écoeurés de ce cercle vicieux?

Je me suis faite dominer,

je domine et si par malheur l'on essaye

de me dominer encore, je tue.

Voilà de quoi les prisons sont remplies.

De gens comme vous et moi qui

n'en peuvent plus de souffrir.

Incapables de verbaliser

cette coupable douleur qui grandit sans cesse,

jusqu'au jour ou plus rien n'a de sens.

Après plusieurs tentatives échouées de réinsertion,

quand la domination n'apporte plus aucune satisfaction,

il vous est possible de décider tout comme moi,

de vous prendre en main, de recréer la réalité,

 de vous tourner à chaque instant

vers le meilleur de vous-mêmes.

C'est alors que vous comprenderez que

les prisons sont inutiles.

Ce n'est pas en prison qu'il faut chercher les criminels

car ici nous ne sommes

que les conséquences d'un crime,

le résultat déconnecté d'un meurtre

dans l'âme et pendant que vous cherchez ici ,

dans vos familles quelqu'un fait voler en éclat

les rêves les plus purs,

fait mourir une âme,

une âme qui peut être à son tour

bâtie de mille souffrances intouchables

car elles sont si meurtrières.

Peut-être qu'à son tour, cette âme fera un criminel,

un abuseur qui à son tour fera des victimes

qui elles, bâtiront cette muraille d'incompréhension qui,

peut-être, les tuera ( suicide, over dose, sida)

à moins que ce ne soient elles qui en viennent à tuer l'autre,

l'abuseur...

Quand nous comptons sur deux mains chaque jour,

les suicides de jeunes,

quand nous marchons dans les rues

et les voyons transis par le froid et la douleur.

Quand je nous regarde en prison,

j'ai toujours la triste pensée :

Combien d'autres encore devrons-nous voir mourir

avant que nous parlions?

Quand cesserez-vous de vous faire sucer par des enfants?

Que faut-il pour que vous réagissiez?

Combien d'autres pénitenciers en expension ou promesses

de partis politiques ignorant toute vérité,

toute réalité, toute misère humaine?

Il ne faut plus attendre.

Posez-vous les vraies questions et

écoutez nos réponses

car croyez-moi,

en 15 ans de prostitutions, j'ai vu le monde se transformer.

J'ai vu les clients devenir de plus en plus violents

et pire,  j'ai vu les fillettes de plus en plus jeunes

faire des clients qui en abusaient.

Combien de fugues de vos enfants attendrez-vous

avant de vous poser les vraies questions?

Car depuis la première fugue vous saviez,

en votre for intérieur que quelque chose n'allait pas rond.

Nous avons besoin de voix, nous avons besoin de reconstruire...

Nous avons besoin de dénoncer la violence, l'abus, l'inceste, le viol

car, avec les bonnes oreilles ont peut changer et

 par la suite changer le monde...

Sous les draps de la violence se cache une souffrance et

un abus incompris et trop souvent banalisés.

Il faut que cela change.

Ce n'est pas en instaurant un projet pilote

pour donner un quartier,

une fosse commune aux prostituées

que les choses changeront.

Mais non.

Car depuis que le monde est monde,

elles la prennent leur place.

Non ce qu'il faut c'est de les protéger,

leur donner le droit de dénoncer la violence.

Il faut arrêter de nous traiter en criminelles

et acceptez que quoi que vous fassiez, nous reviendrons.

Il faut parler, ne faire qu'une voix.

Il faut dénoncer la violence,

il faut mettre le doigt sur l'abus et ses conséquences,

sur la violence qui en découlent.

                            Il faut briser le cercle de la dominance.

Il faut une voix et j'en suis une...


                                                                                                       

                                                                            Mariane Matte